Une pandémie cachée : pour une réponse mondiale à la résistance aux antimicrobiens

Image bannière : Shutterstock / Oleksii Fedorenko
Une pandémie cachée : pour une réponse mondiale à la résistance aux antimicrobiens
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Cet article s’inscrit dans une série de contributions d’experts de l’OCDE et d’influenceurs – du monde entier et de tout secteur de la société – qui répondent à la crise du COVID-19, partageant et développant des solutions pour aujourd’hui et demain. Cette série vise à favoriser un échange constructif de vues et d’expertises développées dans différents domaines afin de nous permettre de relever ensemble ce défi majeur. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’OCDE.

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OCDE Lutte contre le coronavirus (COVID‑19) Pour un effort mondial


Partout dans le monde, ce mois de novembre 2020 diffère nettement de tous les mois de novembre précédents. Qu’il s’agisse de la génération du baby-boom qui doit se familiariser avec Zoom, ou des écuries de Formule 1 qui s’emploient à mettre au point des respirateurs, la situation sanitaire a en effet de profondes répercussions – sur nos vies et sur nos moyens d’existence. Ce mois de novembre est aussi celui de la première Semaine mondiale de sensibilisation au bon usage des antimicrobiens, voulue pour mettre l’opinion en éveil au sujet d’une autre pandémie qui couve sous nos yeux et pourtant à notre insu : la résistance aux antimicrobiens. D’autres campagnes par le passé ont été organisées autour des antibiotiques, mais il existe de nombreux moyens de combattre les maladies chez les humains, les animaux et les végétaux, dont les antibiotiques, les antiviraux, les antifongiques et les antiprotozoaires. Tous ces traitements forment ce que nous appelons les « antimicrobiens ».

Les traitements antimicrobiens – des pénicillines aux lipopeptides et toutes les catégories intermédiaires y comprises – sont le socle de la médecine moderne. Que ce soit dans le cas d’une césarienne, d’une transplantation d’organe ou d’une chimiothérapie – et même de la prise en charge des patients atteints du COVID-19 et placés sous assistance respiratoire – les antibiotiques et autres antimicrobiens permettent des soins sans risque. Malheureusement, les traitements dont nous disposons à l’heure actuelle, en particulier nos antibactériens, perdent de leur efficacité. Il y a une surconsommation d’antibiotiques, non seulement chez les humains, mais aussi chez les animaux dont la chair ou les produits sont destinés à notre alimentation. Dans les pays en développement notamment, il faut ajouter à cela le manque d’accès à l’eau potable et une lutte insuffisante contre les infections dans les établissements de santé ainsi que dans les exploitations agricoles. La conséquence à cela est que le SARS-CoV2 n’est pas la seule pandémie à laquelle nous devons faire face. Il faut en effet compter concomitamment avec la résistance aux antimicrobiens, qui se renforce et dont les répercussions pour la société, l’économie et le bien-être pourraient être encore plus graves.

Malheureusement, les traitements dont nous disposons à l’heure actuelle, en particulier nos antibactériens, perdent de leur efficacité. Il y a une surconsommation d’antibiotiques, non seulement chez les humains, mais aussi chez les animaux dont la chair ou les produits sont destinés à notre alimentation.

 Il ne s’agit pas seulement d’un problème de santé. Si nous ne sommes pas en mesure de soigner les patients et que nous sommes privés de leur capacité productive, il y aura des conséquences sur le plan macroéconomique. D’après les estimations publiées dans le rapport O’Neill commandé en 2016 par le gouvernement du Royaume-Uni et le Wellcome Trust, le coût de la résistance aux antimicrobiens pour l’économie mondiale excédera 80 000 milliards GBP à l’horizon 2050, soit la richesse produite chaque année par le Royaume-Uni. En 2017, d’autre part, la Banque mondiale a estimé que les pertes en productivité et en vies humaines résultant de l’inefficacité des antibiotiques seraient cause d’une contraction de l’économie mondiale de l’ordre de 3.8 % aux alentours de 2050, et feraient ainsi basculer 28 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté. À l’instar du COVID-19, la résistance aux antimicrobiens aura des conséquences économiques excessivement lourdes pour les habitants des pays en développement, du fait de la relative faiblesse des systèmes de santé.

 Ce ne sont pas là de simples chiffres. Ce sont nos voisins, nos amis, nos parents, nos employés. Nous pouvons constater en ce moment même combien une crise sanitaire mondiale peut être catastrophique pour des familles, des groupes humains et des économies entières lorsque vous devez combattre une maladie qu’il est impossible de prévenir ni de soigner. La médecine moderne et l’avenir de notre économie dépendent de la réponse que nous apporterons à ce défi. Nos économies mondialisées et nos chaînes d’approvisionnement ont besoin que nous assurions la sécurité de tous, et partout.

Lire l'article: Systèmes de santé résilients : Ce qui nous apprend la crise du COVID-19 par Francesca Colombo, Chef de la Division de la Santé, Direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales, OECD

Lire l'article: Systèmes de santé résilients : Ce qui nous apprend la crise du COVID-19 par Francesca Colombo

C’est pourquoi le gouvernement du Royaume-Uni œuvre de concert avec des parties prenantes non gouvernementales afin que la protection de notre environnement commun s’inscrive dans le cadre de notre action contre la résistance aux antimicrobiens. Plus tôt dans l’année, le ministère de la Santé et des Affaires sociales, avec le concours de l’initiative FAIRR, de l’Initiative relative aux Principes pour l’investissement responsable et de la fondation Access to Medicine, a lancé, lors du Forum économique mondial de Davos, une initiative baptisée Investor Action on AMR. Nous appelons les investisseurs à s’engager en faveur du développement durable et à se conformer aux meilleures pratiques en usage à l’échelle mondiale pour contribuer à la lutte contre la résistance aux antimicrobiens. En effet, investir dans des biens issus de sources durables et faire preuve de transparence sur les chaînes d’approvisionnement peut changer bien des choses.

Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’annoncer que 12 investisseurs et institutions financières d’envergure mondiale ont fait savoir qu’ils se joignaient à l’initiative. Ils représentent à eux douze plus de 4 800 milliards USD d’actifs, et comptent parmi eux quelques-uns des principaux gestionnaires d’actifs au monde.

Il est possible de continuer à faire des affaires différemment – et de façon plus durable – sans sacrifier l’essentiel. À l’échelle mondiale, nous voyons évoluer les habitudes des consommateurs, qui tendent désormais à privilégier les produits issus d’élevages responsables. McDonald’s annonce s’engager à réduire la consommation d’antibiotiques dans ses approvisionnements en viande bovine d’ici la fin de l’année. Au Royaume-Uni, six des dix principales enseignes de la grande distribution ont désormais banni le recours systématique aux antimicrobiens dans leurs chaînes d’approvisionnement alimentaire. Par une moindre consommation d’antibiotiques, chez les humains ainsi que dans l’élevage et la pisciculture, conjuguée à une bonne hygiène et à des pratiques d’élevage avisées, nous pouvons vaincre la résistance aux antimicrobiens. Un rapport paru récemment a révélé que 25 pays européens avaient fait diminuer les ventes d’antibiotiques destinés aux animaux d’élevage de 34 % entre 2011 et 2018. Les investisseurs doivent suivre ce mouvement et réaliser des investissements à l’épreuve de l’avenir – pour les marchés de capitaux mondiaux et pour la santé économique mondiale.

 À l’heure où les pays luttent contre le COVID-19 et pansent leurs plaies, nous avons l’occasion de mettre les économies mondiales sur la voie de la certitude, de la dignité et de la durabilité.

Certains laboratoires pharmaceutiques modifient quant à eux leurs pratiques commerciales pour freiner les infections pharmacorésistantes. D’après ce que l’on peut lire dans le rapport 2020 du Antimicrobial Resistance Benchmark, dix de ces laboratoires dissocient désormais le montant des primes versées du volume d’antibiotiques vendu, quand ils n’ont pas totalement cessé de recourir à des agents commerciaux pour ce genre de produits. Il s’agit d’une décision importante dans la mesure où elle réduit le risque de vente en surnombre aux professionnels de santé. Dans le même temps, Pfizer est devenu le tout premier laboratoire pharmaceutique à mettre en accès libre les données brutes sur lesquels s’appuie son programme de surveillance. Les hôpitaux et les pouvoirs publics ont besoin de savoir où apparaissent des résistances pour adapter les directives thérapeutiques et en informer ceux qui prescrivent des antibiotiques.

À l’heure où les pays luttent contre le COVID-19 et pansent leurs plaies, nous avons l’occasion de mettre les économies mondiales sur la voie de la certitude, de la dignité et de la durabilité. Nous pouvons repenser, redessiner et réimaginer notre avenir – si nous agissons dès maintenant. Guidée par le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, la communauté mondiale peut contribuer à rendre cet avenir plus résilient. Par l’atténuation des menaces à long terme, comme celle que la résistance aux antimicrobiens représente, nous pouvons amener une croissance économique plus vigoureuse. Je suis convaincue que les efforts conjoints des investisseurs privés et des investisseurs institutionnels en faveur de la durabilité auront une incidence bénéfique notable, infléchiront la trajectoire de nos économies et apporteront davantage de résilience, pour les individus et pour la planète.

Lire le résumé en français du rapport Stemming the Superbug Tide: Just A Few Dollars More

Lire le rapport en anglais Stemming the Superbug Tide: Just A Few Dollars More

L’année dernière, le Groupe spécial de coordination interinstitutions des Nations Unies sur la résistance aux antimicrobiens (que j’ai co-présidé) a demandé que davantage de mesures soient prises à l’échelle mondiale pour lutter contre ce phénomène. Dans nos recommandations, nous avons préconisé une coopération sans précédent entre les secteurs, entre les pays – une coopération à la fois mondiale, nationale et individuelle. Une année plus tard, il apparaît clairement que nous devons nous hâter de trouver des solutions mondiales à nos problèmes de même envergure. Les solutions sanitaires et les solutions économiques iront de pair.

La richesse que nous préservons et créons en faisant reculer la résistance aux antimicrobiens et en adoptant un comportement plus durable sera rendue manifeste par notre capacité de donner accès aux traitements à tous ceux qui en ont besoin de par le monde. Nous devons envisager les choses sur le long terme. C’est pourquoi la Semaine mondiale de sensibilisation de ce mois de novembre sera axée sur le bon usage des antimicrobiens. Le bon usage des antimicrobiens implique de créer des chaînes d’approvisionnement pharmaceutique durables, sûres et respectueuses de l’environnement. Il implique d’utiliser le pouvoir des consommateurs pour faire changer les modes de production de nos aliments. Il implique de renforcer les systèmes de santé afin de les rendre plus résilients et de n’avoir recours aux antimicrobiens que sur prescription médicale. Chacun a son rôle à jouer. 

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