Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires, par Christine Leconte et Sylvain Grisot

À l’épicentre des trois crises du siècle, la ville est à la fois la source des problèmes et l’une des principales victimes. La bonne nouvelle est qu’elle peut aussi apporter de nombreuses solutions, expliquent Christine Leconte et Sylvain Grisot. Comment faire ? En réparant la ville pour la rendre adaptable à nos envies et nos besoins. En bâtissant une ville qui donne envie d’y vivre.
Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires, par Christine Leconte et Sylvain Grisot
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Extrait de l’ouvrage Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires, par Christine Leconte et Sylvain Grisot, publié par les éditions Apogée. Copyright 2022. Tous droits réservés.
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La fabrique de la ville au cœur des crises du siècle

Nous vivons la fin tardive du siècle de la grande accélération, et pas encore tout à fait le début d’une nouvelle ère. Ce point d’articulation des temps multiplie les enjeux et les incertitudes. On parle volontiers d’une transition que l’on imagine douce et verte, mais c’est une vraie révolution qui s’annonce pour la façon dont nous pensons et construisons nos villes. Car la fabrique de la ville est au cœur des trois crises du siècle : celles des ressources, de la biodiversité et du climat.

Commençons par la première, celle des ressources. La construction de la ville épuise les ressources naturelles et énergétiques. C’est l’activité qui consomme le plus de ressources minérales et produit le plus de déchets en France. Construire au XXe siècle, c’est décaper les sols, creuser des fondations, forer des tunnels, déplacer des millions de tonnes de terre dont on ne sait plus que faire. C’est utiliser des montagnes d’agrégats, des mètres cubes d’eau, de l’acier en quantité et du ciment à foison pour ériger nos murs et bâtir nos infrastructures. C’est aussi consommer beaucoup d’énergie pour produire tout ça. Alors face à l’épuisement de certaines de ces ressources dont la plupart ne sont pas renouvelables, c’est toute la machine qui risque de se gripper au moindre signe de pénuries.

 

Mais faire la ville consomme aussi une ressource, immatérielle celle-là : l’espace. Tous les ans, entre 20 000 et 30 000 hectares de sols agricoles, naturels ou forestiers changent d’usage en France pour accueillir l’extension de nos espaces urbains. Ce sont quatre à cinq stades de foot… toutes les heures ! Cet étalement urbain participe largement à la crise de la biodiversité par l’assèchement des zones humides et la destruction de milieux naturels. Il vient aussi réduire les surfaces cultivables au moment où les impacts du réchauffement climatique fragilisent la productivité de nos exploitations et menacent la sécurité alimentaire du pays.

Nos modèles de ville participent aussi activement à la crise climatique. La construction et la vie des bâtiments génèrent des émissions massives de gaz à effet de serre, et l’étalement urbain dessine une ville où les usages sont systématiquement mis à distance, intensifiant les mobilités carbonées. Pourtant les faits sont établis: notre climat change comme il n’a pas changé depuis des millénaires et ce sont bien les activités humaines qui sont à l’origine de ces bouleversements. Le processus est lancé et il va falloir s’adapter à ce réchauffement, mais une réduction forte et rapide de nos émissions de gaz à effet de serre peut encore limiter le choc. Car c’est bien d’un choc violent dont il s’agit. Les événements extrêmes commencent à se multiplier: vagues de chaleur, pluies torrentielles, sécheresses, incendies…

Nos villes sont en première ligne. Au bord des cours d’eau comme en secteur littoral, elles sont plus exposées aux inondations, au recul du trait de côte et aux submersions marines. L’urbanisation accélérée de ces secteurs a aussi augmenté le nombre de personnes exposées aux aléas, pendant que l’imperméabilisation des sols intensifie le ruissellement de l’eau de pluie. Les espaces urbains sont aussi plus sensibles aux canicules dont l’effet est décuplé par la minéralisation des sols. Nos villes sont donc victimes des dérèglements climatiques comme de nos choix d’aménagement.

Rien n’est à inventer, mais tout reste à faire

À l’épicentre des trois crises du siècle, la ville est à la fois la source des problèmes et l’une des principales victimes. La bonne nouvelle est qu’elle peut aussi apporter de nombreuses solutions. La fabrique de la ville porte une responsabilité immense en ces temps pivots car elle peut amorcer une transition plus globale de nos sociétés en montrant la voie. Aux échelons nationaux et locaux, les documents stratégiques ambitieux et les plans d’action prolifèrent. Localement, les initiatives audacieuses se multiplient et inventent des solutions en se confrontant au réel. Rien n’est à inventer, mais tout reste à faire. Car les solutions existent, mais tout l’enjeu de cette transition est de donner une forme concrète aux ambitions: il faut que les projets pionniers essaiment et deviennent le nouveau normal de la fabrique urbaine.

Egalement sur le Forum Network: Low-tech, de quoi parle-t-on ? par , Coordinateur scientifique et technique, et , Ingénieur réparabilité, Service Ecoconception et Recyclage, de l'ADEME

Egalement sur le Forum Network: Low-tech, de quoi parle-t-on ? par Thibaut Faucon, Coordinateur scientifique et technique, et Anne-Charlotte Bonjean, Ingénieur réparabilité, Service Ecoconception et Recyclage, de l'ADEME

Concrètement, une démarche low-tech implique un questionnement du besoin et renvoie à la notion de sobriété. Il s’agit à la fois de réduire l’intensité et la complexité technologique.
 

Renoncements

Il nous faut donc accélérer l’achèvement du XXe siècle pour commencer à répondre sérieusement aux enjeux du suivant. C’est ici qu’on retrouve les « 3 A » du changement. Le premier pour « Adapter ». C’est la somme de ces changements de nos pratiques individuelles et collectives. « Adopter » ensuite, avec toutes ces nouvelles actions à engager, faciles à lister mais tellement plus difficiles à mettre en œuvre. Car nous n’avons pas les ressources pour nous investir dans de nouvelles voies, faute de renoncement. Il manque en effet le troisième A, pour « Abandonner ». Que laisse-t-on de côté pour faire de la place ? Ce n’est pas qu’une question de grands projets devenus inutiles. C’est aussi la fabrique quotidienne de la ville qui est questionnée: arrêter d’élargir cette route, d’aménager ce lotissement, d’étendre ce parc d’activités, de construire cet équipement… Alors faut-il tout arrêter ? Certainement pas, mais faire le tri entre ce qui relève du siècle qui s’achève et ce qui est à la hauteur de celui qui s’ouvre. La liste des renoncements nécessaires n’est peut-être pas longue, mais elle ne sera pas simple à mettre en œuvre.

Commençons par abandonner la monoculture automobile. Nous avons adapté nos rues à ses besoins, transformé nos villes à son image et redessiné nos territoires à coups d’infrastructures routières et d’étalement urbain. La voiture est devenue l’étalon du design urbain. Elle dicte la courbure des voies, la profondeur des sous-sols et même la taille des chambres de nos enfants. Même si elle roulait à l’eau claire et qu’elle était conduite par des anges, elle prendrait encore beaucoup trop de place dans nos villes pour qu’on puisse y vivre correctement. La voiture s’est imposée dans nos vies comme dans nos villes avec ses promesses de liberté. Nous nous y sommes volontairement attachés et en sommes aujourd’hui prisonniers. C’est le verrou qui bloque toute adaptation de nos villes aux enjeux du siècle. Faisons-le sauter.

Abandonner le tout-voiture nécessite de penser autrement nos modes de déplacement. Penser une ville de la proximité où les usages se rapprochent. Avoir une politique volontariste pour les mobilités douces et collectives. C’est abandonner l’étalement urbain qui crée une ville diluée dans ses nappes de parkings et ses routes, à en oublier d’être fréquentable à pied. C’est donc tourner le dos à ce demi-siècle consacré à la conquête des terres agricoles et la construction neuve, pour dédier celui qui commence à transformer le déjà-là.

La culture automobile a aussi changé notre façon de faire la ville. Au cours du XXe siècle, nous avons transposé l’organisation des usines d’Henry Ford à la fabrique de nos villes. Entre le pavillon périphérique vendu sur catalogue et l’immeuble défiscalisé dessiné sous Excel, nous avons standardisé la ville pour pouvoir industrialiser sa production. Nous avons massifié les opérations pour bénéficier des économies d’échelle, en concentrant nos efforts sur les grandes opérations. C’est à cette fabrique industrialisée de la ville qu’il va aussi falloir renoncer car la transition passe par un patient travail dans la dentelle de la ville déjà là. Il va nous falloir apprendre le cousu main pour multiplier les petites opérations attentives au détail, partout dans la ville habitée.

Il nous faut aussi abandonner cette priorité donnée à la construction neuve. Tout nouveau besoin donne lieu à la création de surfaces, sans jamais s’interroger sur la nécessité de construire ou de construire autant. Et quand un bâtiment doit changer d’usage, le diagnostic est trop souvent le même: il vaut mieux démolir que réhabiliter. Impossible de s’adapter aux subtilités de l’existant et de perdre du temps à ajuster les programmes quand on veut construire des produits standard et optimiser les processus de production. Alors on casse tout et on recommence. Il va pourtant falloir se désintoxiquer de la construction neuve. Elle accélère l’étalement urbain, multiplie les surfaces à entretenir, la consommation de matières premières et le volume de déchets. L’équation est claire, construire un immeuble nécessite 70 fois plus de matériaux et produit 5 fois plus d’émission de gaz à effet de serre qu’une réhabilitation. Les rendez-vous du siècle nous imposent donc de ne démolir qu’en dernière extrémité, de focaliser nos efforts sur la transformation de l’existant et de construire moins, beaucoup moins.

La fin de la ville facile

La ville est à l’image de notre société. Le XXe siècle a été celui de l’accélération de la consommation des ressources par une fabrique de la ville qui s’est progressivement industrialisée. C’est un modèle très récent à l’échelle de nos villes, mais pas à celle de nos vies. Nous avons tous toujours connu cela dans notre vie consciente. C’est le « normal » dont il est si difficile de nous détacher alors que le besoin de faire autrement s’impose. La fabrique industrialisée de la ville, consommatrice de terres agricoles, de matériaux et d’énergie, doit pourtant céder la place au cousu main pour adapter la ville qui nous entoure aux enjeux du siècle. C’est la fin de la ville facile, mais le début d’une nouvelle aventure.

Propositions

  • Engager un débat national sur les enjeux de transition de la fabrique de la ville impliquant élus, professionnels et citoyens.
  • Penser la ville pour ses habitants en rompant avec la dépendance automobile.
  • Mettre un terme à l’éloignement systématique des usages et à la consommation d’espaces agricoles et naturels.
  • Rompre avec un mode de fabrication de la ville focalisé sur les grandes opérations et des produits immobiliers neufs standardisés.
  • Faire essaimer les pratiques pionnières de la fabrique de la ville.






Plus d’information sur Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires, par Christine Leconte et Sylvain Grisot (2022, ©Apogée)

Plus d’information sur Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires, par Christine Leconte et Sylvain Grisot (2022, ©Apogée)




L'OCDE travaille à améliorer la qualité de vie et parvenir à des sociétés plus inclusives dans les villes de toutes tailles, tout en abordant une série de problèmes - de la gestion de l'expansion urbaine et de la congestion à l'encouragement de l'innovation et de la durabilité environnementale. Apprenez en davantage ici!

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A conceptual framework for circular economy in cities and regions

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