Pour une Francophonie économique et citoyenne : Le français, source de dynamisme

La Francophonie, à la croisée des chemins, se réinvente. Si la Francophonie officielle et institutionnelle, notamment celle de la diplomatie et de la culture, nous est généralement familière, connaissons-nous les nouveaux visages de la Francophonie ? Elle rime maintenant avec économie et se fait même citoyenne, auprès de jeunes des quatre coins du monde !
Pour une Francophonie économique et citoyenne :  Le français, source de dynamisme
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7 mars 2023 : le Cercle Richelieu Senghor, acteur de la Francophonie à Paris, organise une soirée autour du thème « Le français, un atout sur les marchés internationaux ». L’invité d’honneur, M. Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, s’exprime sur le sujet et souligne une caractéristique des choix linguistiques des entreprises à forte croissance de part et d’autre de l’Atlantique. Son constat est cinglant : « Du côté de la France, pas moins de 13 des 27 licornes recensées en 2022, ces entreprises technologiques non cotées en bourse et valorisées à plus d’un milliard de dollars, portent un nom exclusivement anglophone. Si l’on exclut les noms bilingues ou universels (acronyme, néologisme...), aucune de ces 27 entreprises ne porte de nom à l’orthographe française. Au Québec, ce sont 25 des 50 entreprises championnes de la croissance répertoriées par le magazine L’actualité qui ont baptisé leur entreprise d'un nom francophone. Parmi les 25 autres entreprises, les noms dont l’orthographe est française sont au nombre de… deux. »

Le français, un atout de marque ?

Comment expliquer cette désertion linguistique au sein des noms d'entreprises de territoires francophones ? Certes, la pression uniformisante est sensible : le chant des sirènes du monolinguisme n'est pas loin... Ce chant paraît même particulièrement mélodieux aux oreilles des jeunes et des plus éduqués, au Québec comme en France, comme le note Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. La langue dominante serait-elle adoptée pour mieux se faire comprendre de tous ? Pourtant, la diversité linguistique est une richesse ; et la singularité culturelle a une valeur commerciale qui semble sous-estimée et sous-exploitée. Choisir la langue dominante, n’est-ce pas justement aussi manquer une occasion : celle de se différencier sur un vaste marché mondial où l’anglais fourmille ?  

Comme le rappelle Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, selon l’agence de publicité Universal McCann, 57 % des personnes interrogées dans 81 pays estiment que « marque locale » rime avec « authenticité » et 69 % disent aimer consommer des produits d’origine étrangère. La langue est un marqueur identitaire aussi éloquent qu'immédiat : elle signale d'emblée cette touche locale et convoque notre imaginaire. Son accent singulier est reconnu entre tous, même si nous n’en comprenons pas littéralement le sens. En dehors de la Corée du Sud, combien savent que Samsung signifie « trois [sam] étoiles [sung] » ? Peu sans doute... mais cela n’a pas empêché la multinationale de conquérir les cinq continents. Idem pour la japonaise Mitsubishi, l’entreprise aux « trois [mitsu] diamants [ishi] ». De même, la finlandaise Nokia, née au bord de la rivière Nokia dans la petite ville du même nom (qui signifie « martre » en finnois – l’animal qui figure sur son blason), a été un fleuron de l’économie finlandaise. Et la liste pourrait continuer avec Volkswagen, la « voiture du peuple » allemande etc.

La singularité culturelle a une valeur commerciale qui semble sous-estimée et sous-exploitée.

Ironiquement, des entreprises ne venant pas du monde dit francophone ont parfaitement compris que le français était un atout sur leurs marchés, indique Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. « Les Coréens ont ainsi baptisé deux multinationales de la boulangerie « Paris Baguette » et « Tous les jours ». Elles s’exportent bien : la première a même ouvert cinq succursales à Paris tandis que la seconde affiche ses trois mots français jusque dans les rues d’Oulan-Bator... Dans les rues de Séoul ou de Tokyo, on croise de nombreux petits commerces qui s’affichent en français. Si nous connaissons le « franglais », le « franponais » n'est pas en reste : c’est un mélange souvent créatif de français et de japonais. Il découle d’une fascination pour la langue française et les valeurs qu’elle charrie. », précise Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. L'influente styliste japonaise Rei Kawakubo n’a-t-elle pas créé la marque Comme des garçons (en s’inspirant d’une chanson de Françoise Hardy) notamment pour libérer le corps des femmes ? Autre exemple : la jeune pousse mongole de produits cosmétiques Lhamour a été récompensée au Forum économique mondial pour ses efforts d’internationalisation. Son nom singulier et reconnaissable est la rencontre imaginative d’un prénom tout à fait mongol (Lhamo) avec un mot français assez universel.

La Francophonie économique en action

Ce constat posé, où en est au juste la Francophonie économique ? Eh bien, elle s’organise ! Face à l’anglais et au mandarin, elle a trouvé elle aussi un nouveau dynamisme et s’est structurée. Retour sur image : nous sommes en 2020, le président sénégalais Macky Sall, invité du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) à la Rencontre des entrepreneurs francophones (REF), ne mâche pas ses mots et appelle à un sursaut. Comment se fait-il, demande-t-il, que les flux d’échanges soient si faibles entre les économies francophones alors qu’elles ont une langue en partage ? Que d’occasions manquées…, regrette-t-il.

En effet, l’espace francophone est un marché en constante augmentation avec plus de 320 millions de locuteurs aujourd’hui (3 % de la population mondiale) et 750 millions d’ici 2050 (8 % de la population mondiale). Et c’est en Afrique que se joue l'avenir de la Francophonie. Pas moins de 80 à 85 % des francophones à travers le monde devraient être africains en 2050 et 90 % auront moins de 30 ans sur le continent. Cet espace francophone représente 16 % du PNB brut mondial et il enregistre une croissance de 7 % en moyenne. Enfin, le français est la 3e langue la plus utilisée pour faire des affaires, la 2e langue la plus apprise dans le monde et la 4e langue sur internet.

Pour dynamiser cette Francophonie économique, l’Alliance des Patronats francophones, présidée par Geoffroy Roux de Bézieux, a été fondée fin mars 2021, quelques jours après la Journée internationale de la Francophonie. Elle comprend 29 organisations professionnelles représentant 28 pays francophones et ces organisations représentent plus de 600 000 entreprises présentes sur les cinq continents. L’Alliance organise aussi des groupes de travail qui ont pour objectif de produire des outils novateurs et utiles pour les entreprises de l’espace francophone. Infrastructures et grands projets, transition écologique et Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), investissements, formation professionnelle ou encore numérique : les thèmes abordés sont multiples et des webinaires traitent également de sujets en lien avec l’actualité et le commerce international (corridors logistiques, énergie etc.). L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) accompagne aussi les réflexions. Et la troisième édition de la REF (Rencontre des entrepreneurs francophones) aura lieu du 11 au 13 juin 2023 à Québec : cet événement majeur de l’Organisation rassemblera des délégations de chefs d’entreprise d’une trentaine de pays francophones.

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Président, Francophonie sans frontières

Pour une Francophonie citoyenne : Les jeunes ambassadeurs francophones

L’année 2024 sera également une année importante pour la Francophonie en France : jeux olympiques et paralympiques, sommet de la Francophonie à Villers-Cotterêts, siège de la future Cité internationale de la langue française. C'est à Villers-Cotterêts que François 1er avait institué l'emploi du français dans les actes administratifs, en 1539. Marie Béatrice Levaux, Présidente du comité Francophonie des Jeunes ambassadeurs francophones et ancienne référente Francophonie du Conseil économique, social et environnemental (CESE), entre autres, a un rêve pour l’an prochain et elle travaille activement à sa réalisation. Après avoir signé en 2021 son Plaidoyer pour une Francophonie citoyenne : La France au rendez-vous de la jeunesse du monde, elle le met en œuvre. Au-delà de la Francophonie officielle que nous connaissons, celle de la diplomatie et de la culture notamment, il faut inventer une Francophonie populaire qui jette des ponts entre les habitants des cinq continents : rêver ensemble et monter des projets en français !

À travers le programme des jeunes ambassadeurs francophones, Marie Béatrice Levaux contribue à faire émerger une société civile francophone dynamique. Mille jeunes ambassadeurs francophones (JAF) en 2024, c’est l’engagement partagé et annoncé par le Président de la République, Emmanuel Macron, lors de sa rencontre avec une délégation de JAF, en marge du dernier Sommet de la Francophonie à Djerba en novembre 2022. Le Comité Francophonie et les JAF de la promotion Senghor 2023-24 sont prêts à relever le défi avec enthousiasme. « Il n’y a pas de petits projets », telle est leur devise, précise Marie Béatrice Levaux. Ces jeunes servent à travers leurs projets concrets, dans leur propre environnement, un ensemble de valeurs revendiquées par la Francophonie et les aspirations des peuples francophones : l’humanisme et la démocratie, la liberté et la solidarité. Depuis l'Amérique jusqu’à l’Afrique, en passant par l’Europe, l’Asie ou l’Océanie, ces jeunes ambassadeurs francophones se passionnent pour mille sujets : la presse, la poésie, la littérature (avec, notamment, un « Café précieux » à l'Université de Picardie Jules Verne, autour du XVIIe siècle !), l’histoire, etc. À travers eux, c’est une nouvelle façon de vivre ensemble la Francophonie qui se dessine, nourrie par leur imagination, leur inventivité et leur enthousiasme.

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Vers une Francophonie dynamique et imaginative, en prise avec son temps

L’imagination de ces jeunes est en effet essentielle. « S’il vous plaît… Dessine-moi un mouton », demande le Petit Prince de Saint-Exupéry, en quête d’imaginaire, à l’aviateur en panne de moteur. Les contours de son mouton seront finalement ceux, merveilleux, de son imagination. « Et c’est ainsi que je fis la connaissance du Petit Prince. », nous conte l’aviateur. De la même façon, la langue française doit être un pont entre ses locuteurs, où qu’ils soient : leur imaginaire peut l’accueillir, la nourrir, la réinventer. « Pour être fertile, la langue française doit être labourée », comme le souligne Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. Fertilité de la langue, fertilité de la terre. L’une peut servir l’autre. Très littéralement, la Francophonie est, de par sa charte même, attachée à la terre, au développement durable, qui fait partie de ses priorités. Mettre notre ingéniosité et notre inventivité au service de la transition écologique aux quatre coins du monde, tel est l’un des grands défis que nous devons relever.

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Et l’on se prend à rêver, avec Marie Béatrice Levaux, que la future Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts soit aussi celle de la Francophonie. Une Francophonie ouverte sur le monde, dynamique et résolument tournée vers l’avenir et le plus grand défi du XXIe siècle : la sauvegarde de notre planète. « Quand on a terminé sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la planète », nous rappelle le Petit Prince, jeune ambassadeur de l’écologie… et de la Francophonie.





Cet article fait suite au dîner-débat du 7 mars 2023 du Cercle Richelieu Senghor, Tribune internationale de la Francophonie, autour du thème « Le français, un atout sur les marchés internationaux ». L’invité d’honneur en était M. Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Alexandre Planelles, Directeur Général de l’Alliance des Patronats Francophones, s’y est également exprimé. Marie Béatrice Levaux, Présidente du comité Francophonie des Jeunes ambassadeurs francophones et ancienne référente Francophonie du Conseil économique, social et environnemental (CESE), y a également participé.
L’OCDE était également représentée à ce dîner (Anne-Lise Prigent). Coopérant avec plus d’une centaine de pays, l’OCDE œuvre en faveur de politiques meilleures pour une vie meilleure. Son travail couvre tous les domaines de l’action publique : environnement, économie, emploi, gouvernance, fiscalité, santé, éducation, développement, innovation, agriculture, commerce etc. Le français est l’une des deux langues officielles de l’OCDE, avec l’anglais. Une lettre d’information mensuelle est publiée en français.

 

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