Point de vue : Promesses, écueils et potentiel de la gouvernance technologique mondiale

La gouvernance technologique ne consiste pas uniquement à mettre en place des garde-fous contre les nouvelles technologies (comme l’intelligence artificielle), mais aussi à gérer les difficultés socioéconomiques, culturelles et politiques. // Image: shutterstock.com/g/NEERAZ+CHATURVEDI
Point de vue : Promesses, écueils et potentiel de la gouvernance technologique mondiale
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Cet article a été publié pour la première fois sur le Forum Network de l'OCDE en février 2022, il s’inscrit dans une série de contributions d’experts de l’OCDE et d’influenceurs – du monde entier et de tout secteur de la société – qui répondent à la crise du COVID-19, partageant et développant des solutions pour aujourd’hui et demain. Cette série vise à favoriser un échange constructif de vues et d’expertises développées dans différents domaines afin de nous permettre de relever ensemble ce défi majeur. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’OCDE.

De par leur diffusion rapide facilitée par la mondialisation, les technologies numériques ont acquis une dimension intrinsèquement internationale. Elles sont en train de devenir un élément de base de la société, leur adoption étant encore accélérée par la pandémie de COVID-19. Les politiques et les choix de gouvernance qui sont adoptés les concernant suscitent des inquiétudes quant à l’évolution vers un développement (plus poussé) du numérique, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement.

Compte tenu de cette dimension à la fois globale et locale (« glocale »), il est plus difficile de déterminer la nature de la transformation numérique, de même que le rôle de la communauté internationale dans la mise en œuvre de la gouvernance de ces technologies. Les fractures numériques sont par exemple un important sujet de préoccupation. Elles ne se limitent pas au clivage entre les personnes connectées et celles qui ne le sont pas, mais existent également parmi les personnes connectées, dans les pays développés comme dans les nations en développement. Les fractures se manifestent à différents égards : accès, compétences, langue ou sexe des utilisateurs, pour ne citer que quelques exemples. Les programmes de transformation numérique doivent tenir compte de cette diversité pour faire en sorte que les progrès du numérique n’aggravent pas les inégalités existantes ni n’en créent involontairement de nouvelles.

De la même manière, la gouvernance technologique ne consiste pas uniquement à mettre en place des garde-fous contre les nouvelles technologies (comme l’intelligence artificielle), mais aussi à gérer les difficultés socioéconomiques, culturelles et politiques qui existaient déjà avant le passage au numérique et que ce dernier a exacerbées. Bien que porteuses de promesses et d’espoir, les solutions du marché ne vont pas résoudre ces questions complexes et interdépendantes. Ainsi, réduire les coûts de l’accès à l’internet – depuis l’infrastructure jusqu’aux appareils électroniques – ne se traduira pas directement par une augmentation du nombre de personnes contribuant au passage au numérique et en bénéficiant. Du côté de la demande, les facteurs d’adoption du numérique sont imprégnés d’inégalités. Pour citer un exemple, les normes socioculturelles préjudiciables comme les inégalités entre les femmes et les hommes dans l’accès à l'éducation et aux sources de revenus se reflètent dans les catégories de personnes qui sont en mesure d’accéder aux technologies numériques et de les utiliser de façon constructive, voire d’en créer. C’est pourquoi la gouvernance numérique – aux niveaux local et mondial – ne doit pas se concentrer uniquement sur les technologies actuelles, mais proposer des politiques durables et cohérentes et exiger des investissements dans la suppression des obstacles systémiques.

Le discours relatif à la gouvernance mondiale doit mieux prendre en compte les difficultés réelles que rencontrent les pays en développement dans leur transformation numérique – après tout, c’est là où se concentre la majeure partie des personnes non connectées et donc le plus fort potentiel de croissance (voire d'innovation, encore inexploité) pour notre avenir numérique.

Le discours relatif à la gouvernance mondiale doit mieux prendre en compte les difficultés réelles que rencontrent les pays en développement dans leur transformation numérique – après tout, c’est là où se concentre la majeure partie des personnes non connectées et donc le plus fort potentiel de croissance (voire d'innovation, encore inexploité) pour notre avenir numérique. Les solutions avancées par la communauté internationale en matière de gouvernance et d'action publique nécessitent un cadre intersectoriel et interdisciplinaire plus vaste pour que le passage au numérique soit à la fois adapté au contexte, progressif et durable. Les actions engagées pour développer le numérique sont, trop souvent, inspirées par un éventail de points de vue limité, ce qui ne facilite pas l’obtention des résultats attendus. Parallèlement, la fascination pour l'innovation numérique relègue souvent au second plan les aspects relatifs à la gouvernance et fait oublier que ces derniers jouent un rôle essentiel dans le choix des trajectoires à suivre en matière de développement du numérique. Cette fascination a donné naissance au solutionnisme technologique – à savoir, l’idée selon laquelle les problèmes de développement peuvent être résolus en utilisant (toujours plus) la technologie – et à des sauts d’étapes, conduisant à d’énormes erreurs qui risquent d'accroître les inégalités. Le fait d’investir dans des infrastructures numériques dans un pays en développement sans se demander s’il possède les sources d’énergie sûres et durables qui sont nécessaires pour assurer la connectivité y afférente en est un exemple représentatif. De même, l’enseignement numérique ne consiste pas uniquement à recourir à des gadgets attrayants pour améliorer l’apprentissage, mais à investir durablement dans des enseignants bien formés et dans tout un éventail d’autres facteurs propices, spécifiques au contexte, afin de s'assurer que les outils numériques déployés peuvent donner les résultats espérés. Sauter des étapes peut fonctionner lorsqu’il s’agit de contourner l’infrastructure des télécommunications existante. En revanche, c’est un procédé qui peut être inapproprié et hors contexte lorsqu'il s'agit d'investir dans des domaines sociaux (par exemple dans la santé et l’accès à l’éducation), voire dans des aspects techniques comme l’accès à des sources d'énergie sûres et durables pour assurer la connectivité. La communauté internationale doit cesser d’avoir une vision à courte vue.

Avant de prendre une décision, la communauté internationale doit consulter de toute urgence les pays en développement – à commencer par leurs dirigeants –, car il existe des préoccupations (qui restent sans réponse) quant à leur disposition à adopter une approche multipartite, un modèle qui est parfois mal connu (par rapport au multilatéralisme, plus répandu) et qui est souvent considéré comme nécessitant à la fois beaucoup de ressources et de capacités, sans toutefois permettre de mettre en place des mesures faciles à contrôler.

De plus en plus de voix s'élèvent au sein de la communauté internationale pour appeler à une gouvernance technologique mondiale et à une coopération, afin de donner corps à un multilatéralisme inclusif et à une approche multipartite. Ce discours est le reflet du rôle important joué par l’ensemble des parties prenantes (administrations publiques, organisations intergouvernementales, société civile, secteur privé, milieu universitaire ou communautés techniques) dans la définition de résultats légitimes en matière de gouvernance. Dans la pratique, cependant, les mécanismes et les hypothèses de base relatifs à la manière dont les deux approches de la gouvernance peuvent être efficacement mises en œuvre ne recueillent pas suffisamment d’attention. Avant de prendre une décision, la communauté internationale doit consulter de toute urgence les pays en développement – à commencer par leurs dirigeants –, car il existe des préoccupations (qui restent sans réponse) quant à leur disposition à adopter une approche multipartite, un modèle qui est parfois mal connu (par rapport au multilatéralisme, plus répandu) et qui est souvent considéré comme nécessitant à la fois beaucoup de ressources et de capacités, sans toutefois permettre de mettre en place des mesures faciles à contrôler. De surcroît, l’application de l’approche multipartite à la gouvernance technologique mondiale fait généralement intervenir, par défaut, des parties prenantes richement dotées issues de différents secteurs, avec pour conséquence involontaire une hausse des coûts de participation des petits pays, des pays en développement, de la société civile locale et des petits acteurs privés. Si ces questions ne sont pas résolues, elles pourraient nuire au principe d’inclusion auquel la coopération internationale dans le domaine du numérique entend obéir.

Beaucoup reste à faire pour promouvoir le développement du numérique. La priorité devrait être accordée à la gouvernance – et à ses complexités – alors que la communauté internationale en définit et en structure les tâches. Il est capital d'éviter les programmes d’action à court-terme, cloisonnés et insuffisamment étayés si l’on veut que les technologies dites « glocales » soient régies d'une manière qui génère le plus d'avantages possible et réduise au maximum les aspects négatifs du passage au numérique.






Intelligence artificielle, robotique, Internet des objets ... : la transformation numérique révolutionne les économies et les sociétés. Dans cette économie mondiale numérisée, les pays à revenu faible ou intermédiaire peinent à trouver leur place, à cause d'un manque de capacités et de compétences numériques, mais aussi du fait de la fragmentation des règles mondiales et régionales.
Pour en apprendre davantage, lisez également le rapport Coopération pour le développement 2021: Pour une transformation numérique juste de l'OCDE

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