« Pour ne pas rajouter de la misère à la misère » : la crise du COVID, une opportunité d’en finir avec le sans-abrisme et le mal-logement ?

Image bannière: Kieran Jones
« Pour ne pas rajouter de la misère à la misère » : la crise du COVID, une opportunité d’en finir avec le sans-abrisme et le mal-logement ?
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Cet article s’inscrit dans une série de contributions d’experts de l’OCDE et d’influenceurs – du monde entier et de tout secteur de la société – qui répondent à la crise du COVID-19, partageant et développant des solutions pour aujourd’hui et demain. Cette série vise à favoriser un échange constructif de vues et d’expertises développées dans différents domaines afin de nous permettre de relever ensemble ce défi majeur. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’OCDE.

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La période du confinement a été vécue comme une double peine pour les personnes privées d’un domicile personnel, ou enfermées dans des conditions de vie insupportables.

Alors que chacun d’entre nous réalisait l’importance du chez-soi qu’il occupait, le caractère dramatique de certaines situations de mal-logement a été mis en lumière pendant le confinement. Surpeuplement, logements vétustes ou trop petits… bloqués entre quatre murs pendant des mois, vivre dans des conditions indécentes ou dans un logement surpeuplé n’a jamais été aussi difficile pour les ménages qui en sont victimes. Parallèlement, le confinement a durement affecté le quotidien des personnes sans-abri, pour qui la fermeture des commerces, la réduction de voilure des associations et des services d’accueil quotidiennement fréquentés a provoqué la fragilisation du lien social et des difficultés d’accès à des ressources vitales (distribution de repas, hygiène etc.). Pour les personnes les plus fragiles, quel que soit leur statut administratif, le confinement a aussi dramatiquement freiné leur accès aux droits.

The COVID-19 Response to Homelessness: A newfound commitment that must last beyond the pandemic par Frederik Spinnewijn et Miriam Matthiessen, FEANTSA (en anglais)

Ainsi, la crise a mis en lumière des besoins sociaux, vitaux, importants et structurels déjà identifiés de longue date par les associations. Mais au-delà de la question des personnes sans-abris et des mal-logés, les besoins sociaux se sont amplifiés suite à l’apparition de nouveaux publics que les événements récents ont fait glisser dans la fragilité, et par l’accentuation des situations de précarité chez les ménages qui étaient déjà en grande difficulté, et qui, faute de pouvoir mobiliser des ressources de débrouille durant cette période de crise, se sont vu contraints à solliciter massivement les aides publiques et associatives.

Dans les longues files d’attente devant les distributions alimentaires sont apparus des ménages qui n’étaient pas connus des associations et des services sociaux, des personnes qui n’avaient jamais demandé d’aide par le passé, des hommes et des femmes qui travaillaient, qui travaillent encore mais moins, des familles qui se débrouillaient, mais que cette crise inédite a fait basculer dans la fragilité. Ces personnes et ces familles vivaient déjà sur le fil auparavant. La baisse ou la perte des ressources liées à la crise les ont fait basculer dans une impossibilité de s'alimenter et de se soigner convenablement, et dans la peur du lendemain. Parmi les plus touchés par la crise, des familles monoparentales avec des emplois précaires déstabilisées par les difficultés de gardes d’enfants, des jeunes qui ne peuvent pas compter sur la solidarité familiale et qui enchainent des petits boulots, des contrats courts et n’ont pas droit au chômage, des intérimaires, les milliers de personnes dépendants de compléments de revenus non déclarés… En France, ils sont ainsi des centaines de milliers à avoir rejoint les 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté monétaire.

Au-delà d’un répit pour les personnes concernées, cette mobilisation a montré qu’avec de la volonté, de l’implication de la puissance publique au côté des acteurs la solidarité et des moyens, des solutions étaient possibles pour les personnes sans-abris et mal-logées.

Face à cela, le rôle des acteurs de l’urgence sociale et de la société civile s’est révélé majeur, et un effort de coordination inédit s’est mis en place en France entre les acteurs de la solidarité, les services de l’État et les collectivités locales. Les mesures déployées pendant la crise sanitaire ont marqué une attention renouvelée à la protection des plus vulnérables : 20 000 places d’hébergement dont 12 000 à l’hôtel ont été ouvertes, 14 000 places hivernales ont été maintenues, des centres de desserrement Covid-19 ont ouvert, une augmentation des attributions de logements sociaux aux personnes sortants d’hébergement a été observée, des points d’eau dans certains bidonvilles ont été installés, des chèques service ont été distribués, la trêve des expulsions locatives a été prolongée, des aides financières ont été accordées à une partie des publics les plus fragiles... Au-delà d’un répit pour les personnes concernées, cette mobilisation a montré qu’avec de la volonté, de l’implication de la puissance publique au côté des acteurs la solidarité et des moyens, des solutions étaient possibles pour les personnes sans-abris et mal-logées.

Lisez l’analyse de l’OECD sur les mesures adoptées par les villes face au COVID-19

Pour autant, ces mesures ne sont pas suffisantes au regard des besoins connus de longue date, de la crise sanitaire qui se poursuit, et de la crise économique et sociale qui se profile. Dans les mois à venir, l’affaiblissement des ressources conjugué à l’augmentation des charges liées au logement risque de mettre de nombreux locataires en difficulté pour payer leurs quittances de loyer et leurs factures d’énergie. L’augmentation des impayés est pour le moment encore difficile à estimer avec précision, notamment dans le parc privé où la visibilité est limitée, mais les indicateurs nous font craindre une vague d’expulsion dramatique à la fin de la trêve des expulsions locatives. Ces expulsions interviendraient alors même que le parc d’hébergement est à nouveau complètement saturé.  Même si les capacités d’hébergement hivernales ont été maintenues après le déconfinement, et que des instructions ministérielles demandent la non remise à la rue des personnes hébergées, chaque jour plus de 3 000 personnes contactent le 115, sans qu’aucun hébergement ne leur soit attribué pour la nuit à venir.

L’après-confinement n’a pas permis de transformer l’essai et de recoudre les mailles manquantes dans notre filet de protection sociale. Le plan de relance, dont seulement 0,8 % sera dédié aux plus précaires, doit pourtant être l’occasion d’un changement d’échelle ambitieux et nécessaire pour en finir avec le sans-abrisme et le mal-logement. Pour éviter d’ajouter de la misère à la misère, il est impératif d’abonder largement le fonds d’indemnisation utilisé par les préfets en cas de non-recours à l’expulsion, de créer un fonds national d’aide à la quittance pour aider les locataires dont les revenus ont baissé depuis mars 2020, d’augmenter les minimas sociaux qui ne permettent plus de vivre dignement, de les élargir aux jeunes de moins de 25 ans qui n’y ont pas accès, et de faire de cette crise un accélérateur du Logement d’abord. Sans ces mesures structurelles, les conséquences de cette crise pour les plus pauvres risquent fort d’être dramatiques.

Image bannière: Kieran Jones

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