Low-tech, de quoi parle-t-on ?

Concrètement, une démarche low-tech implique un questionnement du besoin et renvoie à la notion de sobriété. Il s’agit à la fois de réduire l’intensité et la complexité technologique. Image banniere: Pasuwan/Shutterstock
Low-tech, de quoi parle-t-on ?
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Cet article s’inscrit dans une série de contributions d’experts et d'acteurs clés de la société civile qui cherchent à répondre aux grands enjeux actuels en développant des solutions pour aujourd’hui comme pour demain. Les opinions exprimés ne reflètent pas nécessairement ceux de l’OCDE.



Concept prenant racine dans les années 1970 avec des auteurs comme Ivan Illich, Lewis Mumford, Ernst F. Schumacher ou Jacques Ellul, il n’existe pas de définition commune et partagée relative au terme « low-tech ». Pour autant, l’ADEME a dévoilé en mars 2022 une étude sur l’état des lieux des démarches Low-tech et les perspectives associées, qui a abouti, entre autres, à une proposition de définition des démarches low-tech. Il en ressort que le qualificatif s’applique, au regard d’une autre solution qui répond à un besoin identique, à des démarches de conception et d’évolution de produits, de services, de procédés ou de systèmes qui visent à maximiser leur utilité sociale tout en maîtrisant leur impact environnemental pour ne pas excéder les limites planétaires. Concrètement, une démarche low-tech implique un questionnement du besoin et renvoie à la notion de sobriété. Il s’agit à la fois de réduire l’intensité et la complexité technologique, d’entretenir l’existant plutôt que de le remplacer, de donner accès au plus grand nombre aux solutions et de maîtriser les usages.

Le low-tech invite donc à davantage de discernement en interrogeant notre rapport aux systèmes techniques à travers un regard critique et systémique.

Comme toute approche novatrice, elle suscite son lot de malentendus. Parce qu’il s’oppose sémantiquement au « high-tech », le « low-tech » est souvent considéré comme un rejet de la technologie et du progrès. Certains peuvent y voir une volonté de retour à la bougie, de décroissance économique ou la valorisation d’un « do it yourself » sans grande portée. Or son idée-force est que la technologie n’est pas neutre mais bien ambivalente et génère des effets positifs et négatifs indissociables. Le low-tech invite donc à davantage de discernement en interrogeant notre rapport aux systèmes techniques à travers un regard critique et systémique. Certains secteurs stratégiques requièrent en effet des technologies de pointe difficilement dispensables comme le matériel médical ou militaire alors qu’a contrario des solutions sobres en technologies ne peuvent pas être considérées comme low-tech, parce que l’environnement dans lequel elles s’inscrivent n’est pas durable. Ce serait le cas, par exemple pour des outils manuels mis au service d’une agriculture intensive ou pour des chauffe-eaux solaires utilisés pour des piscines privées.

La sobriété et l’approche systémique, piliers des démarches « low-tech »

Une démarche « low-tech » consisterait d’une part à mettre l’accent sur la sobriété. Pour y parvenir, il y a tout d’abord un gros travail de décolonisation des imaginaires collectifs aujourd’hui dominés par le solutionnisme technologique. Ensuite, il faut poursuivre la sensibilisation, la formation, le conseil et l’accompagnement des citoyens et des acteurs économiques pour qu’ils s’approprient les enjeux systémiques liés aux limites planétaires et à l’inévitable sobriété associée. En France, moyennant un investissement public adapté, les agences locales pour l’énergie et le climat (ALEC), les syndicats d’énergie ou les collectivités territoriales pourraient aussi proposer un service public de la sobriété. À l’ADEME, de nombreux travaux relatifs aux stratégies de déploiement de la sobriété dans les territoires ont été publiés récemment.

Par ailleurs, les démarches « low-tech » supposent une réflexion stratégique amont qui cherche à comprendre le paradigme culturel d’émergence, les objectifs et les dynamiques complexes d’évolution des interactions et rétroactions entre les variables sociotechniques et écologiques d’un système donné (un territoire par exemple) pour identifier les « effets rebond » d’une part et les leviers de transformation du système les plus efficaces d’autre part. Puis, elles vont chercher à agir sur ces leviers en veillant à éviter les effets déstabilisateurs voire destructeurs sur les plans écologique, socioéconomique et politique.

En effet, l’essentiel du potentiel de transformation de tout système – sociotechnique a fortiori – réside surtout dans la modification des différents niveaux du système par des outils bien souvent faiblement intensifs en technologie (lois, réglementations, normes, fiscalités, incitations financières, monnaies locales complémentaires, informations, formations, sensibilisation, etc.). Ces outils peuvent prendre la forme de communs et de ressources ouvertes libres et accessibles à tous (open source) pour démultiplier leurs effets. Nous parlons donc d’une innovation systémique « low-tech » à double titre : « low-tech » par les moyens en agissant à différents niveaux du système par des leviers faiblement ou non technologiques et « low-tech » par les résultats attendus : réduction de l’intensité et de la complexité technologiques de la société, réappropriation démocratique et maitrise des outils et évolutions techniques, sens retrouvé de nos activités, réduction des inégalités sociales, augmentation du bien-être, etc.

Les territoires au cœur des stratégies « low-tech » créatrices d’emplois

Les stratégies « low-tech » sont fondamentalement liées aux territoires puisqu’elles s’inscrivent dans un processus de relocalisation des activités humaines essentielles et d’institutionnalisation des communs physiques (ressources, biodiversité, climat, infrastructures, équipements, logiciels, données, etc.) et sociaux (démocratie, entreprise, monnaie, santé, savoirs et savoirs-faires, informations, etc.), mais aussi le redéploiement par l’État de services publics de proximité pour faciliter ces transformations profondes dans les territoires. L’objectif est d’établir démocratiquement, à l’échelle d’un territoire ou d’un bassin de vie, les modes et règles de gestion d’une ou plusieurs ressources, compétences incluses. Les stratégies « low-tech » intègrent donc aussi toute la réflexion relative à la caractérisation qualitative et quantitative des métiers et emplois, à la formation et à la construction de parcours de mobilités professionnelle et résidentielle financièrement et socialement sécurisés. En effet, la dynamique actuelle de tertiarisation de l’économie et de métropolisation produite par une mondialisation elle-même permise par un gigantesque parc de technologies fonctionnant aux énergies fossiles ne devrait pas survivre dans les proportions actuelles aux limites planétaires qui vont s’imposer à nous dans les prochaines décennies. Les stratégies low-tech invitent donc à (re)construire une structure de métiers et d’emplois moins dépendants des technologies et contribuant à la résilience de l’économie ainsi qu’à planifier un rééquilibrage territorial des bassins de vie par un maillage très fin de réseaux cyclable, ferroviaire et fluvial reliant des villes petites et moyennes et des villages densifiés en leur centre et, ceinturés de polycultures et de poly-élevages.     

Les démarches « low-tech », une réponse aux enjeux de justice sociale

Par ailleurs, les stratégies « low-tech », par leur caractère systémique et leur accent mis sur la sobriété, embarquent la question de l’équité sociale. Elles reviennent donc aussi à mettre en place collectivement des mécanismes de réduction des inégalités salariales dans une logique d’autolimitation de la consommation des plus aisés. En effet, la forte corrélation du niveau de vie et de richesse par personne (et donc de technologies sollicitées) avec l’empreinte écologique par personne en France et dans le monde est aujourd’hui bien documentée. Par ailleurs, il a aussi été étudié à travers le paradoxe d’Easterlin qu'au-delà d'un certain seuil, la hausse du PIB par personne ne se traduit pas nécessairement par une hausse du niveau de bonheur individuel déclaré. Aussi, au-delà de l’incomplétude de l’indicateur du PIB, il est essentiel de réduire, en parallèle des actions de sobriété, les inégalités sociales et salariales et de focaliser notre attention sur un panel d’autres indicateurs.

Un passage à l’échelle d’initiatives à concrétiser

Les champs d’application des low-tech sont nombreux et variés allant de l’agriculture à l’artisanat – avec par exemple une boulangerie utilisant un four solaire – en passant par la construction / rénovation ou encore la mobilité. Sur l’axe mobilité, plusieurs acteurs cherchent à développer des véhicules motorisés légers, donc moins gourmands en ressources. C’est le cas de la Gazelle en France, une voiture électrique très allégée qui sera fabriquée dans des micro-usines mobiles. Tous les critères du low-tech ne sont pas cochés – on pourrait notamment regretter l’absence de logique open source – mais c’est déjà un pas intéressant, en particulier pour les habitants dans les territoires ruraux où il n’existe pas d’alternative évidente à la voiture individuelle. Et en 2022, l’ADEME lance l’eXtrême Défi pour créer en 3 ans une catégorie de véhicules sobres et efficaces, peu coûteux, interopérables, simples à assembler à l’aide de composants standards et recyclables. Reste désormais à créer les conditions d’un passage à l’échelle en levant les freins politiques, réglementaires et culturels qui subsistent.

Aujourd’hui, en France, l’écosystème low-tech se structure autour d’associations, de chercheurs, de designers, d’entreprises de toutes tailles, de médias et d’institutions publiques, l’ADEME en tête qui vient d’intégrer les low-tech dans ses derniers travaux prospectifs. Plusieurs initiatives ont déjà vu le jour : organisation de tables rondes, de webinaires et de forums, accompagnement d’expérimentations et de projets via des appels à projets. Cette mobilisation croissante est le reflet d’une dynamique low-tech qui monte en puissance partout, et c’est une bonne nouvelle pour la transition écologique.

Thibaut Faucon et Anne-Charlotte Bonjean, Mai 2022, ADEME




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