La Grande Muraille verte, un défi écosystémique pour l’Afrique

Véritable laboratoire interdisciplinaire à ciel ouvert, la Grande Muraille verte atteste du potentiel considérable des solutions fondées sur la nature face à certains des grands enjeux auxquels font face nos sociétés, expliquent Gilles Boëtsch et Aliou Guissé, co-directeurs de l’Observatoire Hommes-Milieux Téssékéré. Photo: Riccardo Mayer
La Grande Muraille verte, un défi écosystémique pour l’Afrique
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Cet article a été initialement publié le 5 décembre 2022. Le Forum Network de l’OCDE est un espace où des experts et acteurs clés de la société cherchent à répondre aux grands enjeux actuels en échangeant idées et solutions. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement ceux de l’OCDE.



La forêt sahélienne a perdu 80 % de sa masse en un siècle. Intensifié par des perturbations significatives du cycle climatique, le processus de désertification menace aujourd’hui de s’accélérer, faisant peser d’importants risques pour la biodiversité locale, comme pour ses populations. Et pourtant, en dépit de ces nombreux défis, cette fragile zone est aussi le théâtre d’une expérimentation aussi ambitieuse que prometteuse: la Grande Muraille Verte.

La Grande Muraille Verte atteste du potentiel considérable des solutions fondées sur la nature (SFN) face à certains des grands enjeux auxquels font face nos sociétés.

Lancée en 2007 par les pays du Sahel, cette vaste opération de reforestation traverse le continent africain d’ouest en est sur 7600 kilomètres, de Dakar à Djibouti. Son objectif est double : restaurer l’écosystème sahélien pour freiner le réchauffement climatique, tout en luttant contre la pauvreté des populations locales. La Grande Muraille Verte atteste ainsi du potentiel considérable des solutions fondées sur la nature (SFN) face à certains des grands enjeux auxquels font face nos sociétés. Elle souligne également combien l’association étroite des populations locales est essentielle à leur succès.

Les premières plantations ont ainsi eu lieu au Sénégal en 2008 dans la commune de Téssékéré dans le Sahel sénégalais qui demeure la vitrine la plus avancée du projet. L’agence sénégalaise de la Grande Muraille Verte a reboisé depuis cette date 65 000 hectares, dont plus de 18 000 mis en défens, afin de les protéger du nombreux bétail présent sur le parcours. Prendre en compte les conditions climatiques et connaissances locales est essentiel : le projet privilégie ainsi des espèces ligneuses plantées capables de supporter un stress hydrique élevé (200 à 400 mm d’eau sont néanmoins nécessaires pour leur survie) - et notamment des espèces principales comme l’Acacia senegal, Acacia seyal, Balanites aegyptiaca, Ziziphus mauritiana… Outre leur capacité d’adaptation à la sécheresse, ces espèces sont bien connues des populations locales qui les utilisent quotidiennement (alimentation humaine et bétail, santé, énergie, outillage…).

Ces actions de reforestation - lesquelles suscitaient une forte réticence voire une opposition de la part des familles d’éleveurs peules - ont été accompagnées de la création de 12 jardins polyvalents permettant de reconstituer les territoires en association avec les populations locales. Couvrant plus de 60 ha, ces derniers ont ainsi permis la création de 1100 emplois locaux où plus de 2000 femmes travaillent, en alternance, à la réintroduction d’espèces animales, à l’aménagement de 12 pépinières qui ont produit 25 millions de plants à ce jour, ainsi qu’à l’ouverture et l’entretien de 4 000 km de pare-feu. Gérés par des coopératives féminines, ces jardins contribuent également à limiter les transhumances vectrices de déforestation, et participent à l’amélioration de la scolarisation des enfants. Les éleveurs, initialement hostiles à la fois à la mise en défens et aux jardins polyvalents, ont réévalué leur position initiale : les parcelles mises en défens leur fournissent une réserve fourragère et les jardins polyvalents trouvent grâce à leur yeux puisqu’ils souhaitent un accroissement significatif de leur surface.

Également sur le Forum Network: Dépenser mieux pour la biodiversité : comment les instruments économiques peuvent aider à préserver la nature de Katia Karousakis & Edward Perry, Biodiversité, Utilisation des terres et Ecosystémes, OECD

Egalement sur le Forum Network: Dépenser mieux pour la biodiversité : comment les instruments économiques peuvent aider à préserver la nature de Katia Karousakis & Edward Perry, Biodiversité, Utilisation des terres et Ecosystémes, OECD

L'appauvrissement de la biodiversité va croissant, au péril de notre économie et du bien-être des générations actuelles et futures. Recourir davantage aux instruments économiques bénéfiques à la biodiversité est indispensable pour assurer un avenir plus pérenne et favorable à la nature. 

La sous-région étant en proie à de nombreux conflits, l’avancement du projet est très en retard dans les autres pays sahéliens. Onze pays sont impliqués dans ce projet (Burkina Faso, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Soudan et Tchad) mais les conditions géopolitiques actuelles ne permettent de développer le reboisement dans les zones de conflits. Toutefois, les premiers résultats obtenus par le Sénégal sont très encourageants, et pourraient inspirer ses voisins une fois le contexte géopolitique devenu plus propice.

En 2021, le One Planet Summit s’est engagé à soutenir ce projet, en incitant les investissements dans les petites entreprises et les marchés locaux, et en promettant une aide pour la restauration des terres et une gestion durable des écosystèmes. Les agences africaines de la Grande Muraille Verte doivent répondre à cet effort financier en préservant la biodiversité de la région, tout en améliorant les conditions de vie des populations en termes de sécurité alimentaire et de bien-être.

Pour faire progresser ce grand projet avec efficacité, une recherche scientifique interdisciplinaire et collaborative est également indispensable. Le CNRS s’est ainsi associé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en 2009 pour mettre en place un Observatoire scientifique de la Grande Muraille Verte, intitulé « Observatoire Hommes-Milieux international Téssékéré ». En permettant d’associer chercheurs, agence nationale de reboisement (ANSGMV) et populations locales, cette collaboration peut être le fer de lance qui permettra l’accélération de la mise en place de la Grande Muraille Verte.

Les travaux des chercheurs se poursuivent sur des plans à la fois théoriques et appliqués en impliquant les populations locales : écologie végétale et animale, pédologie, santé des populations, usage de l’eau… mais aussi, les produits forestiers et leurs potentialités sur les plans alimentaires, cosmétiques, ou médicinaux en offrant des protections sanitaires face aux pathologies transmissibles ou chroniques (écologie de la santé).  Les résultats des recherches sont partagés et font l’objet de réunions régulières de restitution auprès des populations locales qui favorisent leur sensibilisation aux bénéfices de la reforestation.

En associant pleinement les populations locales au projet et en permettant l’expérimentation de nouvelles formes de collaboration, la Grande Muraille Verte se révèle en somme le creuset d’une solution fondée sur la nature porteuse de résilience climatique et sanitaire : un laboratoire interdisciplinaire à ciel ouvert. 

Ce dispositif commun entre la recherche française et la recherche africaine fonctionne très bien et témoigne d’un paysage de la coopération internationale Sud-Nord en plein renouvellement.  Depuis 2010, l’OHMi Téssékéré a publié plus de 120 articles dans des revues scientifiques internationales et a permis la production de nombreuses thèses de recherche. Cette recherche, initialement opérée dans l’espace sahélien sénégalais, implique à présent des chercheurs du Burkina Faso. Un « International research network » en cours de mise en œuvre par le CNRS et l’UCAD va permettre d’impliquer dans le processus de recherche de nouveaux chercheurs, ainsi que les agences nationales du Tchad, du Niger et d’Éthiopie dans un premier temps. Un des nombreux objectifs visés dans cette nouvelle forme de collaboration sera de fournir des services d’information permettant une prise de décision basée sur une meilleure connaissance de l’extrême variabilité des fortes précipitations dans la zone sahélienne, ainsi que de leur impact sur les écosystèmes sahéliens ou sur la santé des populations.

En associant pleinement les populations locales au projet et en permettant l’expérimentation de nouvelles formes de collaboration, la Grande Muraille Verte se révèle en somme le creuset d’une solution fondée sur la nature porteuse de résilience climatique et sanitaire : un laboratoire interdisciplinaire à ciel ouvert. Si la région du Sahel compte indéniablement parmi les plus vulnérables face au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité, elle pourrait ainsi bien se révéler également une source d’inspiration importante pour d’autres zones géographiques face à ces défis partagés.






Apprenez-en davantage sur les politiques et bonnes pratiques en matière de biodiversité sur le site internet de l'OCDE et lisez également le rapport Biodiversity, natural capital and the economy, A policy guide for finance, economic and environment ministers (en anglais)

Lisez le rapport Biodiversity, natural capital and the economy, A policy guide for finance, economic and environment ministers (en anglais)


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