Éviter l’effondrement du financement du développement

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Éviter l’effondrement du financement du développement
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Cet article s’inscrit dans une série de contributions d’experts de l’OCDE et d’influenceurs – du monde entier et de tout secteur de la société – qui répondent à la crise du COVID-19, partageant et développant des solutions pour aujourd’hui et demain. 

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Lutte contre le coronavirus (COVID‑19) Pour un effort mondial

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En 2019, l’OCDE a alerté sur le fait que le système mondial de financement du développement risquait de ne pas tenir les promesses des Objectifs de développement durable des Nations Unies, avec de graves conséquences à la clé. À cause des chocs que le COVID‑19 impose à cette architecture défectueuse du financement du développement, cette dernière s’effrite.

Les apports extérieurs à destination des pays à revenu faible et intermédiaire devraient enregistrer une chute de 700 milliards USD entre 2019 et 2020. Un tel choc serait quasiment de deux tiers plus important que celui de la crise financière mondiale de 2008-09 : les apports avaient alors diminué de 425 milliards USD. D’après les projections de l’OCDE, même dans le scénario le plus optimiste, l’IDE à l’échelle mondiale diminuera d’au moins 30 %, sachant que les apports aux pays en développement enregistreront vraisemblablement une baisse plus marquée. Les envois de fonds par les émigrés, qui, jusqu’au début de cette année, constituaient pour les pays en développement une source stable, et gagnant de l’importance, de recettes venues de l’étranger, pourraient reculer de 100 milliards USD. Les pressions qui s’exercent dans les pays éroderont les recettes fiscales, lesquelles étaient déjà insuffisantes.

Le tribut sera lourd pour les populations. Certes, les estimations varient, mais la prévision la plus pessimiste envisage qu’un demi-milliard d’individus pourraient sombrer dans la pauvreté. La crise actuelle exacerbera les inégalités sanitaires et sociétales existantes. Le nombre d’individus confrontés à une insécurité alimentaire aiguë pourrait bien doubler.

Voyant ce à quoi aboutit la fragilité du système tel qu’il existait auparavant, il est indéniable qu’il ne suffira pas de reconstruire le financement du développement à l’identique de ce qui prévalait avant le COVID. Nous devons nous attacher dès le départ à partir sur de meilleures bases. Les investissements mondiaux dans le développement durable doivent être plus justes, plus verts et plus résilients face aux chocs avant qu’ils ne surviennent.

Le financement public du développement conserve une position centrale

Sur le moyen et le long terme, le financement public demeurera essentiel, non seulement en raison de sa finalité, mais aussi de sa fiabilité. Dans tous les pays, l’aide publique au développement (APD) était plus élevée en 2019 qu’en 2018, atteignant 153 milliards USD. Si l’on se retourne sur 6 décennies de données, on constate que, alors que l’APD ne constitue pas le volume de financements extérieurs le plus important pour les pays en développement, elle en a formé la source la plus stable, lissant les effets des crises économiques passées. Les baisses de la croissance du PIB des pays donneurs ne conduisent pas systématiquement à un recul de l’APD : l’expression de la solidarité, la prise en compte des besoins et d’autres facteurs géopolitiques semblent compter davantage.

S’agissant des performances en termes d’APD dans les prochaines années, au cœur de la pire récession de mémoire d’homme, ces constats laissent envisager trois scénarios possibles : accroissement des budgets d’APD afin de répondre aux besoins découlant de la crise du COVID‑19 ; maintien des budgets d’APD à leur niveau récent malgré le ralentissement mondial de la croissance ; ou bien baisse des budgets d’APD en droite ligne de la contraction des économies des donneurs. Malgré les défis hors du commun qui découlent de la pandémie de COVID‑19, les tendances récentes laissent à penser que l’APD peut s’avérer résiliente en 2020 et 2021. Elle pourrait même augmenter, en fonction de l’impulsion politique qui est imprimée.

Les pays en développement escomptent également que les donneurs accorderont un allègement de leur dette. L’OCDE estime que l’accord sur un moratoire sur le service de la dette conclu entre les ministres des Finances des pays du G20 apporterait un soutien substantiel en termes de liquidité : à condition que les créanciers aussi bien que les emprunteurs participent pleinement, cet accord pourrait déboucher sur 25.3 milliards USD en faveur des pays à revenu faible et intermédiaire en 2020. La participation des banques multilatérales de développement permettrait de dégager 9.2 milliards USD supplémentaires. Pourtant, deux éléments de cet accord sur un moratoire sur la dette restent incertains : premièrement, le niveau de financement annoncé ne se matérialisera que si tous les acteurs jouent le jeu, et deuxièmement, cet accès à de la liquidité diffère les remboursements, et nous devrons regarder de près les répercussions sur les niveaux d’endettement futurs.

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Repartir sur de meilleures bases : le financement public du développement doit être protégé, intensifié et réinventé

Le redressement post-COVID‑19 contraint à choisir entre renforcer des trajectoires qui sapent la durabilité et donner aux pays en développement les moyens d’être résilients. En soutenant des secteurs polluants, comme le charbon et le gaz, les États reconstitueront la situation qui prévalait avant le COVID. Mais les donneurs peuvent jouer un rôle substantiel pour résister au biais en faveur des solutions anciennes en détaillant les opportunités économiques associées à une reprise durable alignée sur le Programme à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris. Citons quelques-unes de ces opportunités. Les chocs environnementaux, sociaux et sur la gouvernance (ESG) diminuent la valeur à long terme des actifs, et les financements qui prennent en compte les risques ESG ont enregistré des performances supérieures aux indices de référence dans la crise actuelle.Les estimations de l’Organisation internationale du travail montrent que la transition vers des économies à faibles émissions de carbone et résilientes face au changement climatique devrait aboutir à la création nette de 18 millions d’emplois et, dans le même temps, soutenir 1.2 milliard d’emplois, essentiellement dans les pays en développement, qui dépendent directement des services écosystémiques. De son côté, la Banque mondiale estime que chaque dollar investi dans des infrastructures résilientes face au changement climatique génère en moyenne un rendement de quatre dollars, qui préserve les gains de productivité et la création d’emplois associés aux infrastructures.

Les financements publics et les changements d’orientation peuvent aussi jouer un rôle plus important dans la mobilisation des financements privés à l’appui de la reprise après la crise du COVID‑19, s’attachant à empêcher tout verdissement d’image. Étant donné que l’augmentation des primes de risque diminue l’attrait que présentent les marchés émergents et en développement pour les capitaux privés sur le court terme, l’intervention des financements publics devient d’autant plus cruciale. Les institutions de financement du développement devront intensifier leurs efforts pour attirer des investissements sur le moyen terme et offrir des stratégies d’atténuation des risques dans les secteurs les plus durement touchés par la crise, tels que l’agriculture, la santé ou l’eau et l’assainissement. La reprise pourrait également constituer pour elles l’occasion de recalibrer leurs portefeuilles et de réévaluer les modèles et instruments de financement mixte existants, afin de porter à l’échelle supérieure le soutien au développement durable.

L'épidemie de coronavirus COVID-19: un catalyseur vers l'acte II de la mondialisation? par Bertrand Badie, Professeur émérite, Sciences Po Paris

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Malgré des difficultés chez eux, une responsabilité et une chance pour les donneurs

Bien qu’ils rencontrent des difficultés considérables sur leur territoire, les pays donneurs ont la responsabilité de continuer à soutenir le développement durable des pays en développement. Cette responsabilité ne consiste pas seulement à amortir le coup que représente l’effondrement des financements extérieurs lié aux externalités de la crise dans les pays donneurs (chute des échanges, de la consommation, du tourisme, etc.), mais aussi à contrecarrer le creusement des disparités économiques. Au cours de la dernière décennie, la croissance économique mondiale a été tirée par les mêmes pays qui sont actuellement le plus durement touchés. Il s’ensuit qu’à l’heure du redressement de l’économie mondiale, il existe non seulement une responsabilité particulière à réinvestir dans ces pays, mais aussi une reconnaissance que les pays en développement sont des partenaires essentiels pour la sécurité économique de demain. Joseph Stiglitz a récemment affirmé que « les plans de relance peuvent soit faire d’une pierre deux coups – en positionnant l’économie mondiale sur une trajectoire lui permettant de ramener à zéro les émissions nettes de carbone – soit nous enfermer dans un système reposant sur des ressources fossiles, duquel il est quasiment impossible de sortir ». Le financement du développement mondial a pour mission de faire d’une pierre trois coups : remédier à la récession économique mondiale liée au COVID‑19, au changement climatique, ainsi qu’à la pauvreté et aux inégalités. Cependant, il nous reste peu de temps pour viser et prendre des mesures concernant les investissements à effectuer aujourd’hui pour la reprise. 

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