« Data & quartiers » : la ville intelligente au service de la justice sociale

Les méthodes de la data science ouvrent des perspectives pour renforcer l’efficacité des politiques publiques et leur pertinence face aux besoins des publics les plus fragiles. Le programme "Data & Quartiers" en atteste, explique Jacques Priol.
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En France, 5,4 millions de personnes vivent dans l’un des 1 436 quartiers classés dans la catégorie des « quartiers prioritaires ».

La politique de soutien à ces quartiers les plus fragiles repose sur la définition de zones dans lesquelles sont concentrées de nombreuses aides : construction de nouveaux logements, rénovation des grandes cités, création d’équipements sportifs et culturels, aides sociales, etc. Mais si de nombreux outils statistiques permettent de piloter l’action des pouvoirs publics dans ces quartiers, paradoxalement, peu de données sont utilisées pour comprendre la réalité de l’impact des budgets qui y sont dépensés.

Le taux de chômage y est plus élevé qu’ailleurs, mais quels sont les emplois qui correspondent aux qualifications des habitants ? Une offre culturelle est subventionnée, mais quelles sont les réelles pratiques culturelles et les attentes des habitants ? Des politiques de prévention sont déployées mais qui sont les habitants en situation de « non-recours » (c’est-à-dire qui pourraient être accompagnés mais ignorent les dispositifs construits pour eux) ?

Si la statistique publique aide à comprendre les grandes masses, elle ne permet pas toujours de mesurer de façon suffisamment précise l’impact des actions conduites.

Si la statistique publique aide à comprendre les grandes masses, elle ne permet pas toujours de mesurer de façon suffisamment précise l’impact des actions conduites. Elle ignore en outre les réalités très disparates et très mouvantes de ces quartiers. La digitalisation de nos sociétés ouvre cependant des perspectives pour « lever ce voile d’ignorance », et ainsi renforcer l’efficacité des politiques publiques et leur pertinence face aux besoins des populations. La politique de la ville aurait tout à gagner à se saisir de ces outils nouveaux. 

Dans les régions de Bretagne et des Pays de la Loire, une expérimentation de 3 ans a été conduite par l’association Résovilles et les experts du cabinet CIVITEO, avec de nombreux partenaires publics et privés, pour tester le recours aux outils de la data science. Conduite entre 2019 et 2022 au cœur de 78 quartiers qui représentent 230 000 habitants, des outils innovants ont été mobilisés pour atteindre plusieurs objectifs :

  • Former et sensibiliser les acteurs locaux (des élus, des fonctionnaires, des travailleurs sociaux) aux enjeux de la gestion des données.
  • Collecter et croiser des données publiques (parfois disponibles en open data) et des données privées pour améliorer la connaissance des quartiers. Ainsi par exemple, des données issues des agences publiques de l’emploi ont été croisées avec des données d’entreprises privées de travail intérimaire.
  • Utiliser des outils innovants de gestion des données : cartes et datavisualisations, algorithmes d’appariement ou encore algorithmes de modélisation des parcours individuels (logement, santé, social…).

Ces outils ne sont pas rares dans la gestion des villes, mais ils sont le plus souvent réservés aux smart cities et à la gestion des grandes fonctions urbaines et des utilités : la gestion de l’énergie, de l’eau, des déchets, la mobilité et les déplacements. Et lorsque des prototypes innovants sont proposés, ils sont souvent réservés aux centres des villes. Le programme « Data & quartiers » a résolument pris le contre-pied de ces démarches en choisissant de mobiliser les méthodes de la data science au service des quartiers qui comptent parmi les plus pauvres de France.

Un livre blanc a été produit avec le soutien du Ministère français en charge de la politique de la ville. Il explique dans le détail les expériences qui ont été conduites. L’une d’entre-elle concerne l’emploi. Des données locales fournies par l’agence publique de l’emploi sont croisées avec les données d’un groupe privé de travail temporaire. Il en résulte une connaissance inédite de la réalité des distances entre les quartiers et les emplois, avec des enseignements pratiques pour des politiques locales d’aide à la mobilité. En matière de protection sociale, le recours à un algorithme de modélisation permet d’identifier des familles en situation de non-recours. Le livre blanc raconte aussi les conditions qui ont été créées pour permettre un accès à des données nouvelles.

Capture d'écran de l'outil de visualisation géographique du non-recours à la Complémentaire Santé Solidaire (C2S)

Au nom de l’intérêt général, des acteurs publics et privés se sont engagés dans une forme d’altruisme des données, anticipant ainsi les principes du futur cadre européen défini par le Data Governance Act. Le choix des algorithmes a été détaillé, évitant ainsi un effet « boîte noire » trop souvent présent dans les démarches de data science. Des contrôles ont été opérés sur l’anonymisation des données, le respect du RGPD, mais aussi la transparence des algorithmes. De manière empirique, une démarche éthique s’est organisée, traduite par la signature d’une charte éthique puis par la formalisation de règles et enfin l’obtention d’un label éthique reconnu.

La « ville intelligente » sera avant tout celle qui saura faire des données un levier de justice sociale.

Mieux encore, à l’issue des 3 années d’expérimentation, un rapport officiel remis au gouvernement français tire des enseignements de l’expérimentation et propose que la gestion des données irrigue les futures politiques contractuelles en faveur des quartiers prioritaires. Ce rapport recommande que tous les contrats locaux comportent, à compter de 2024, des « clauses data » pour permettre la mise en commun des données des partenaires, à l’image de ce qui est régulièrement fait dans les métropoles avec le secteur public et le secteur privé pour les contrats de smart city. Il recommande aussi que les expériences pédagogiques menées en Bretagne et Pays de la Loire soient étendues à toutes les régions françaises.

Dans l’univers de la data au service des politiques publiques, le programme « Data & Quartiers » est réellement atypique, notamment parce qu’il s’adresse à des acteurs culturellement très éloignés des outils de la data science. Grâce à une méthode de déploiement progressive, pédagogique, transparente et éthique, il ouvre le chemin à de nombreux usages de la data au service des politiques sociales et au bénéfice des publics les plus fragiles. Et il montre par-là que la « ville intelligente » sera avant tout celle qui saura faire des données un levier de justice sociale.


Pour plus d’informations, consultez "Data & Quartiers : le Livre Blanc"
Pour plus d’informations, consultez "Data & Quartiers : le Livre Blanc"




 Les travaux de l'OCDE s'efforcent d'améliorer la qualité de vie et de créer des villes plus inclusives, tout en abordant un éventail d'enjeux, tels que la gestion de l'expansion urbaine et de la congestion, l'encouragement de l'innovation et la durabilité environnementale. Apprenez-en davantage sur notre site (en anglais)

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Et suivez également les discussions de la Réunion ministérielle de l'économie numérique de l’OCDE, qui se tient du 13 au 15 décembre 2022

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