Forum de l'OCDE 2018: Acquérir de nouvelles compétences: est-ce si difficile ?

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Cet article fait partie du Forum Network série sur New Societal Contract

« Devenez qui vous êtes. Apprenez de nouvelles compétences et décrochez votre prochain emploi ! » Telle est la promesse d’une entreprise spécialisée dans la reconversion.

Avec la montée en puissance de l’automatisation, « 60 à 375 millions de personnes à travers le monde pourraient être contraintes de se réorienter sur le plan professionnel d’ici à 2030. Dans tous les emplois ou presque, l’éventail de tâches et d’activités à réaliser va évoluer », selon un rapport publié en 2017 par McKinsey.

McKinsey report Jobs lost, jobs gained: Up to 375 million workers globally may need to switch occupational category

Avoir des systèmes efficaces pour apprendre et se former tout au long de la vie est donc essentiel. Les compétences doivent être renforcées à mesure que les technologies évoluent et chacun devrait avoir accès à des programmes de reconversion lorsqu’il en a besoin. Pas moins de 82 % des cadres qui travaillent dans des entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 100 millions USD considèrent que la reconversion et la requalification permettent de répondre, pour moitié au moins, à leurs besoins de compétences, selon une enquête réalisée par McKinsey.

L’inadéquation des compétences est manifeste. « Alors que nous constatons l’ampleur du chômage des jeunes, et de celui des adultes désormais, 40 % des employeurs déclarent ne pas être en mesure de trouver les talents dont ils ont besoin », fait remarquer Shea Gopaul, Directrice exécutive du Global Apprenticeship Network (GAN).

Shea Gopaul, Executive Director, Global Apprenticeship Network
Image: © OECD

Une chose l’a surprise : on pourrait penser que les entreprises manquent de compétences dans les domaines des technologies de l’information ou des STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques), mais elles ont un grand besoin de compétences non techniques, comme le sens de la collaboration, de la communication, et du travail en équipe, l’esprit critique, la créativité ou la faculté d’adaptation.

Le facteur humain joue un rôle essentiel dans l’apprentissage de nouvelles compétences. Selon Shea Gopaul, la génération Z en a assez du tout numérique : « Même dans les programmes d’apprentissage en ligne, 60 % de la formation doit être réalisée en face à face ». 

La reconversion n’est pas exempte de difficultés ; Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation de la France, rappelle qu’il ne s’agit pas seulement d’aligner l’offre sur la demande. Le processus est avant tout humain : « Ce sont clairement des personnes qui vont chercher très très loin, dans des compétences de tous ordres, pour les ramener à des compétences qui peuvent être liées à un emploi mais qui sont aussi liées à du savoir-être », des compétences sociales et émotionnelles.

Jean-Michel Blanquer, French Minister for Education
Image: © OECD

C’est pourquoi il est capital d’encourager ceux qui doivent acquérir de nouvelles compétences. M. Blanquer souligne que des synergies fructueuses peuvent être dégagées lorsque ceux qui se reconvertissent par le biais de la formation professionnelle encadrent des apprentis. L’intérêt de l’apprentissage tient aussi au fait qu’il favorise le dialogue intergénérationnel, comme le note également Shea Gopaul : le jeune et l’adulte qui le forme peuvent s’apporter beaucoup mutuellement.

Néanmoins, le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Dans son ouvrage Janesville: An American Story, Amy Goldstein révèle qu’après le début des licenciements à Janesville dans le Wisconsin en 2008, « les personnes qui n’avaient pas repris d’études étaient, en 2011, plus susceptibles que les autres d’occuper un emploi », tandis que celles qui avaient suivi une formation et trouvé un travail voyaient leur rémunération baisser.

Amy Goldstein, Author, Janesville: An American Story
Image: © OECD

Que peut-on en conclure ? Tout d’abord, que la reconversion n’est pas seulement une affaire de compétences et de comportement mais aussi d’identité. Trouver le courage de se réinventer et de faire ses devoirs aux côtés de ses enfants n’est pas tâche aisée. Ensuite, la situation au niveau local est déterminante. Mme Goldstein rappelle en effet qu’il n’y avait pas beaucoup d’emplois disponibles pour les travailleurs du secteur automobile qui s’étaient reconvertis. Les rares emplois disponibles avaient probablement été pris par ceux qui n’avaient pas consacré du temps à une reconversion. Cela soulève donc aussi la question de la mobilité et du contexte plus général.

A qui revient-il de s’assurer que la reconversion fonctionne et débouche sur des résultats probants ? 

Selon Hassan Yussuf, Président du Congrès du travail du Canada, il incombe à l’État de faire collaborer syndicats, employeurs et acteurs de l’éducation. Shea Gopaul souligne que l’apprentissage de nouvelles compétences relève de la responsabilité de tous, y compris de la personne concernée.

Hassan Yussuff, President, Canadian Labour Congress
Image: © OECD

« Il faut être acteur du changement », convient M. Blanquer. « L’économie n’est pas quelque chose qui nous arrive comme des météorites sur lesquelles nous n’avons pas d’impact. C’est à nous de façonner l’économie, or c’est une économie qui va être en grande partie une économie de la formation.»

« Au bout du compte, il s’agit aussi de notre projet de société ; c’est pourquoi il importe de prendre du recul », prévient Andreas Schleicher, Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences et Conseiller spécial du Secrétaire général chargé de la politique de l’éducation. « L’avis des employeurs est certes important, mais ce n’est pas le seul à prendre en compte. La société doit davantage penser à long terme ».

Andreas Schleicher, Director, OECD Education and Skills departmen; Special Advisor on Education Policy to the Secretary-General
Image: © OECD

« Les problématiques de l’égalité femmes-hommes et du changement climatique doivent être prises à bras le corps », observe M. Yussuf. « Comment arrêter de se concentrer sur les secteurs dominés par les hommes et donner aux femmes les moyens d’acquérir de nouvelles compétences ? Comment aider les travailleurs à obtenir les compétences dont nous avons besoin pour relever le défi du changement climatique ? ».

La mise en garde d’Andreas Schleicher était claire : « Nous nous sommes habitués à tant de choses. À l’école, nous enseignons ce que nous considérons comme la vérité aujourd’hui sans donner aux individus les moyens de remettre en question les idées reçues, de réfléchir à long terme, d’anticiper, d’être ouverts au changement. Face à l’éducation, nous avons un comportement de consommateurs, il nous faut maintenant devenir acteurs. Le travail et l’apprentissage doivent devenir indissociables ». 

La formation continue commence très tôt, car si vous ne jetez pas des bases solides, le processus peut se révéler fastidieux, avertit M. Blanquer. Il précise également que les systèmes éducatifs doivent être tournés vers l’avenir afin de préparer les jeunes générations aux emplois de demain.

Le monde change et le marché du travail va se transformer en profondeur. Pourtant, une personne sur cinq seulement considère la transformation du marché du travail comme une mégatendance susceptible d’avoir des conséquences sur sa retraite, selon l’enquête Aegon Retirement Readiness Survey de 2018. Catherine Collinson, Présidente du Transamerica Institute et Directrice exécutive de l’Aegon Center for Longevity & Retirement, nous met en garde : « Toute rupture dans notre vie professionnelle peut avoir des répercussions encore plus importantes une fois à la retraite. Il faut sensibiliser la population à ce problème ». Mme Collinson estime également qu’il est essentiel de posséder des compétences dans le domaine financier pour pouvoir préparer son avenir. Or, 3 personnes sur 10 seulement ont répondu correctement à trois questions très simples dans ce domaine. M. Yussuf insiste aussi sur le fait que les travailleurs plus âgés sont particulièrement vulnérables sur le marché du travail car ils n’ont pas les compétences élémentaires nécessaires en compréhension de l’écrit et en calcul.

Shea Gopaul cite un exemple de bonne pratique : AT&T a mis en place un programme de reconversion des personnes dont l’emploi est supprimé, qui leur permet de « suivre un apprentissage à temps partiel dans un nouveau domaine  pendant leur dernière année à leur poste ».

Catherine Collinson, President, Transamerica Institute; Executive Director, Aegon Center for Longevity & Retirement
Image: © OECD

« Autrefois, nous apprenions à faire notre travail ; désormais, notre travail consiste à apprendre », conclut M. Schleicher. « Dans l’apprentissage tout au long de la vie, la partie la plus simple est peut-être celle de l’apprentissage. Le vrai défi, c’est sans doute d’être capable de désapprendre et de réapprendre en fonction du contexte ».

A l’heure où nous devons renforcer et transformer nos compétences face à de profondes mutations technologiques, n’oublions pas ce qu’ ‘être humain’ signifie. Et Andreas Schleicher de conclure : « De tout temps, l’éducation a gagné la course face à la technologie, mais je ne suis pas convaincu que cela pourra perdurer. Il ne faut pas essayer de remplacer l’intelligence artificielle, mais plutôt de la compléter. L’intelligence artificielle nous oblige à mener une réflexion beaucoup plus approfondie sur ce qu’ ‘être humain’ veut dire…» 

Lisez le nouveau rapport de l’OCDE intitulé L'apprentissage et l'alternance en sept questions: Leçons des expériences internationales (Questions about Apprenticeships: Answers from International Experience) – lancement le 15 octobre 2018 at 15h heure de Paris

L'apprentissage et l'alternance en sept questions: Leçons des expériences internationales

Regardez la vidéo de Reskilling: How difficult is it? ainsi que les photos de la session

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