Repenser les sociétés pour vieillir ensemble

L'Institut Open Diplomacy s'est rendu au Forum de l'OCDE et livre une série de comptes-rendus sur l'évènement.
Repenser les sociétés pour vieillir ensemble
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Cet article fait partie du Forum Network série sur New Societal Contract

L’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) vient d'organiser les 6 et 7 juin derniers son forum annuel. Spécialistes de la sphère publique et privée se sont rassemblés pour penser un modèle de développement inclusif à l’heure où la mondialisation est confrontée à de nombreuses fractures. Parmi ces dernières, le vieillissement de la population mondiale figure comme l’un des sujets phares des débats.

Selon le dernier rapport officiel du département des affaires économiques et sociales des Nations unies, paru en 2015, nous comptons dans le monde 901 millions de personnes de 60 ans et plus, et cette population devrait doubler pour atteindre 2,1 milliards de personnes en 2050. Ainsi, alors qu’en 2015, les 60 ans et plus représentaient 12 % de la population mondiale, cette proportion s’élèverait à un quart de la population en 2050. Cette croissance vertigineuse concerne tous les pays, sans exception. Mais elle attire l’attention puisqu’elle est sans commune mesure avec l’évolution des autres groupes de population.

Comment faire face à une vie de centenaire sur le marché du travail ?

C’est la question que pose Jo Ann Jenkins, directrice générale de l’AARP (American Association of Retired Persons) au Forum de l’OCDE : « La perspective d’une vie de centenaire nous pousse à revoir nos tranches de vie », dit-elle lors de la conférence du 6 juin sur le marché du travail dit « pentagénérationnel », constitué de cinq générations. La première génération représente celle des « traditionnalistes », nés avant 1946, précédant les « baby-boomers » (1946-1964). Puis apparaissent la génération X (1965-1976), la génération Y (1977-1997) et enfin la génération Z née après 1997.

Au-delà d’une division à but statistique, ces cinq groupes sont le reflet de fractures sociales liées à l’âge, rendues palpables par de nombreux discriminations et signes d’exclusions. « 64 % des travailleurs ont vu ou connu des discriminations liées à l’âge au sein de leur travail » confirme Mari Kiviniemi, Secrétaire générale adjointe de l’OCDE.

Qu’il s’agisse des plus jeunes ou des plus âgés, le marché du travail voit le nombre d’exclusions augmenter. Les jeunes diplômés sont généralement considérés trop peu matures pour être embauchés et peuvent alors être exploités au cours de leurs premières années sur le marché du travail dans leur quête d’expérience valorisable comme le dénonce Dejan Bojanic, Vice-président du European Youth Forum, plate-forme d'organisations de jeunesse en Europe. A l’inverse, les plus âgés courent le risque d'être exclus du marché du travail à l’heure où les nouvelles technologies priment et où leur utilisation est indispensable. « Regrouper et recouper ces groupes » apparaît donc aux yeux de Jo Ann Jenkins comme la principale mission des pouvoirs publics pour favoriser l’adaptation du marché du travail aux changements démographiques mondiaux. Un enseignement mutuel entre baby-boomers et génération Z, par exemple, constituerait une réponse à ce besoin d’adaptation.

Conférence « Marché du travail pentagénérationnel, des baby-boomers à la génération Z ». Forum de l'OCDE, Paris, 6-7 juin 2017 © Sarah Lemaire

Dans la mesure où 30 % des départs à la retraite ne sont pas volontaires selon Maarten Edixhoven, directeur de l’assureur néerlandais Aegonthe Netherlands, le maintien des 60 ans et plus sur le marché du travail grâce à l’enseignement des plus jeunes constitue un enjeu d’avenir.

Cela suppose également la redéfinition de l’âge de la retraite. Si la longévité et l’état de santé des individus s’améliorent, le départ à la retraite ne devrait plus être considéré de la même façon. Selon Caelainn Barr, journaliste au Guardian, le modèle qui a été créé sur le marché du travail doit changer pour permettre aux plus âgés de s’y épanouir. Il ne devrait pas y avoir un schéma linéaire où nous travaillons, puis arrêtons tout du jour au lendemain. Au contraire, une libre entrée et sortie du marché du travail devrait être rendue possible pour permettre d'arrêter de travailler si le besoin s’en fait sentir, sans que cette pause se reflète mécaniquement comme une rupture dans la vie professionnelle et génère ainsi un mécanisme d'exclusion.

De la même façon, pour Claire Casey, directrice des analyses du magazine américain Foreign Policy, la solution pour l’intégration des personnes âgées sur le marché du travail repose sur cette flexibilité.

Conférence « Marché du travail pentagénérationnel, des baby-boomers à la génération Z ». Forum de l'OCDE, 6 juin 2017 © Sarah Lemaire

Néanmoins, cette flexibilité ne peut être envisagée seule, sans une « requalification » comme le précise à juste titre Caelainn Barr. Si les plus jeunes peuvent beaucoup recevoir des plus âgés en termes d’expériences, ces derniers doivent également pouvoir être mis au courant de l’évolution des connaissances, de l’organisation du travail et des nouvelles technologies. Que cela passe par un enseignement mutuel entre générations ou par des cours spécialisés, les pouvoirs publics doivent participer à l’inclusion de cette catégorie de la population à travers des mesures d’accompagnement et de formation.

Comment éviter l'isolement social des personnes âgées ?

« L’isolement social est un énorme problème pour les personnes âgées » déclare Ann McDaniel, directrice de Foreign Policy. Bien que l’intégration des personnes âgées sur le marché du travail est un vecteur d’inclusion dans nos sociétés, il est important de considérer le processus d’isolement physique et psychologique des individus, en particulier des plus de 60 ans. L’isolement est un facteur d’appauvrissement économique et immunitaire. Il est donc primordial de prendre en compte l’insertion sociale des personnes âgées dans le développement d’un modèle de société adapté aux plus âgés.

Ann McDaniel prend l’exemple de la robotique comme outil de soutien psychologique. Elle témoigne elle-même de sa fascination pour des animaux robotisés qu’elle a côtoyés lors de dîners professionnels. « Nous étions tous obnubilés par un phoque robotisé. Il réagissait au toucher. C’était la star de la soirée ». A partir de cette expérience, Ann Mc Daniel suggère de développer ce type de compagnie pour les personnes âgées. Après tout, le film « Her » de Spike Jonze, sorti en 2013, envisage un possible amour entre l’Homme et le robot. Au-delà de la fascination, la robotique pourrait donc effectivement se lier d’amitié avec l’Homme.

« Aucun pays n’est encore prêt au vieillissement de leur population ». 

Jo Ann Jenkins, quant à elle, insiste sur les rapports humains transgénérationnels. En prenant l’exemple d’Israël, elle évoque l’apparition de maisons communes entre jeunes, notamment étudiants, et personnes âgées. Les étudiants n’ayant pas toujours les moyens suffisants pour subvenir à leurs besoins et au financement de leur scolarité, ils peuvent être hébergés gratuitement dans ces maisons collaboratives en échange d’une aide quotidienne aux personnes âgées. Dans la même lignée d’une double coïncidence des besoins, le système postal est utilisé au Japon comme un « fast check up » des personnes isolées. Les livreurs ou facteurs vérifient que les personnes âgées vivant seules se portent bien.

L’inclusion des personnes âgées devient primordiale au vu du vieillissement de la population mondiale. Pour répondre à ce défi, les idées fleurissent. Pourtant, Jo Ann Jenkins précise, sans pessimisme : « Aucun pays n’est encore prêt au vieillissement de leur population ». Les pouvoirs publics doivent s’engager dans cette restructuration majeure de la société. Cela représente un travail de fond à réaliser. Il s’agira donc de flexibiliser le marché du travail, mais aussi de redéfinir l’âge de la retraite, sans oublier le calcul des pensions du régime de retraite.

Alors que certains pays s’inquiètent de leur taux de natalité trop faible, il est aussi nécessaire de se concentrer sur le vieillissement de la population. Après tout, les personnes âgées peuvent également participer à la résolution d’enjeux contemporains. Jo Ann Jenkins de conclure avec optimisme : « Les personnes âgées peuvent participer à la résolutions des problèmes d’éducation chez les jeunes ».

Ann McDaniel directrice de Foreign Policy, Claire Casey directrice des analyses de Foreign Policy et Ruben Cohen, reporter de l'Institut Open Diplomacy, Forum de l'OCDE, Paris, 6-7 juin 2017 © Sarah Lemaire

Cet article a d'abord été publié sur Open Diplomacy.

Les opinions et interprétations exprimées dans les publications engagent la seule responsabilité de leurs auteurs, dans le respect de l'article 3 des statuts de l'Institut Open Diplomacy et de sa charte des valeurs.

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